Pour la première fois, j'essaie d'écrire
dans un lieu public avec de la musique
de merde ou du moins immangeable
pour moi, des gens qui bougent sans souci
de me déconcentrer, un écran grand
où l'on ne fait que jouer au tennis
et ma petite table aux coins arrondis
où manque le manuscrit que j'ai oublié
à la maison en me précipitant, esquivant
ma belle-mère et ma femme enceinte,
la femme de ménage et mon chien,
l'attrait de la téléralité (on est mardi,
nouvel épisode de Below Deck: Mediterranean)
et des tâches administratives qui s'accumulent,
comme de déclarer à l'URSSAF un chiffre d'affaires
nul pour le trimestre dernier, mais à déclarer
malgré tout, car se taire ne veut pas dire zéro.
Se taire veut dire : je ne joue pas avec vous
et dans ce cas, la règle est claire : interdit de jouer.
Bel exemple de rituel vide mais nécessaire
à l'affirmation de l'existence d'un groupe
imaginaire ou du moins ayant besoin
d'être imaginé par ceux qui en sont ainsi membres,
car c'est le seul moyen pour que des écrits
soient efficaces dans la réalité, applicable
leur contenu à des individus : qu'ils y croient.
Les institutions ne sont que des écrits
aussi volages que les paroles, à moins
soit que des gens acceptent d'imaginer ensemble
que ce qu'ils disent est vrai, réel et prédictif,
soit que la violence physique intervienne
pour forcer l'assentiment des réticents,
sinon leur sincérité leur subordination
à l'autorité de l'écrit garantie par l'épée
(il suffit de voir la déco extérieure
du palais de justice de Paris):
l'imagination est plus simple et moins coûteuse
et nécessaire quand on veut voir en grand.