Celui a existé que nous pouvons connaître,
aujourd'hui nous échappe ce que nous sommes :
se peut-il qu'elle soit imaginaire,
cette notion qui nous rassemble et nous meut ?

Si l'on entend la persistance du corps
(en exceptant son renouvellement cellulaire
inconnu des autres objets sujets à l'usure,
ou en l'y incluant : la persistance d'un phénomène
de renouvellement cellulaire autonome,
d'une efficacité qui va se dégradant
et définit ainsi la relation
du corps à sa finitude),
elle est non seulement temporaire,
ce qui peut mettre mal à l'aise,
mais aussi d'une évidente insuffisance
descriptive en regard de la fonction vécue.

Ce ne fut pas toujours le cas
et je ne sais pas qui l'a découvert
(certains disent Socrate, surtout Socrate),
mais quand je dis "je" ou "moi"
et que je crois désigner un objet du monde,
comme un chameau ou un caillou,
j'éprouve une puissance proportionnelle
à l'erreur que je commets — à l'ampleur
des constructions imaginaires que je parviens à concevoir
et rattacher aux caractéristiques perceptibles
de mon corps et de ses atours
de manière convaincante pour ceux qui m'entourent.

Et je tremble d'être démasqué
puis condamné à boire la ciguë ;
mais je persiste aveuglément car sinon
m'apparaîtrait l'insoutenable labilité de l'être.

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